Chronic'art n°4 avril/mai 2002 p.63 (France)
Par Alexis Drion

 


ENVELOPPE SENSIBLE INSPIRANT DÉSIR AUTANT QUE DEGOUT, LA PEAU DEVIENDRAIT-ELLE UN SIMPLE OUTIL À LA FOIS CONVOITE ET DONC MARCHND?
OLIVIER GOULET PROVOQUE NOS FANTRASMES CHARNfELS ET CONSUMERISTES À PARTIR DE L
É0UATION SÉDUCTRICE :
GORE + CHIC = TRÈS CHIC.

Après avoir vendu par correspondance des morceaux d'épiderme, moulé des gens dans le latex en les exposant comme des trophées de chasse, Olivier Goulet lance l'artisanat de la chair et habille des générations d'Allegra Geller. Le Skin Bag débarque sur le Web comme la tendance printemps été d'un cata ogue d'accessoires de mode. Exécutés en latex, imitant la coloration naturelle de nos épi dermes, ces sacs en simili peau humaine cares sent leurs possesseurs de toute leur ambigulté. Ultime étape de la réification du corps après sa commercialisation sur les trottoirs du monde entier ? À la frontière du cynisme et de l'art, les SkinBags se déclinent en sac à dos, cabas pour le marché, protection pour ordinateurs ou tout simplement... gilet.

Contenant premier du corps, la peau devient-elle, une fois détachée du reste, I'ultime artefact désirable ? Goulet pose la question d'un fétichisme post humain. A la facture gore et grossière, s'oppose la texture douce et sensuelle. L'instinct de possession s'éveille au contact d'une pure sensation (sensualité humaine transposée à l'objet, la perversion ne serait-elle que cela ?). Pour vaincre les réticences de l'acheteur, I'artiste propose un service de tatouage personnalisé. De la pièce limitée numérotée à la pièce unique, il n'y a qu'un pas. Goulet investit le champ du rapport de l'acheteur à i'œuvre, de ses motivations et de la nature de son émotivité. Si le corps d'autrui se résume à un kit détachable que l'on s'approprie, I'objet d'art ne dénature-t il pas l'art ? De même, la notion d"'event" accolée au champ artistique depuis Fluxus, maltraite la notion d'événement artistique en la confondant avec le phénomène récurent de la collection de mode.

A l'époque du cyber, se pose bien entendu la question de la fonctionnalité du corps. Le corps devient-il obsolète (Stelarc) ? Si la fonction corporelle disparaît derrière la machine, faut-il lui en inventer une autre ? De cette tentative surgirait alors la question d'un corps renouvelé, entièrement repensé sous l'égide du modulable, voire du gadget. Le corps objet ne reprendrait guère ses droits dans le réel; au plus ne serait-il qu'une convention ou un pur fantasme. Car c'est bien de cela dont il s'agit: le fantasme du corps objectal comme dernier rempart face à son évanouissement dans un tout virtuel et technologique. L'existence de la mode, conditionnée par le recours a l'ephémère, se verrait ici attribuer un rôle de pérennisation. L'emploi de la peau (et de son image) comme simple matière première pour la création des sacs contient cependant elle même son propre échec. La peau ne délimite plus le corps mais l'objet. Ordinateur portable, livres... c'est l'information ou au mieux l'ustensile qui sont ici préserves. Le gilet parachève cet état de fait; I'épiderme devient le musée d'une humanité X. Le corps expose le corps et offre un parallèle avec la notion muséologique de l'œuvre d'Art, chère à Duchamp.

Le déficit de notre apparence causée par une virtualité galopante met en branle tout système de représentation du réel. L'art que l'on peut considérer comme tel devra changer de visage. Le Skin Bag apparaît comme un fossile probable de notre humanité. L'art en tant que langage humain s'estompe derrière une classification de pièces hétéroclites dignes d'un savoir de paléontologue. À quand le lendemain de la peau ?

Alexis Drion

 

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