sk-interfaces (UK) 2008, p.150 - 152
texte par Fabienne Stahl, édité par Jens Hauser
SkinBag Corps.ext Fabienne Stahl
La famille SkinBag d'Olivier Goulet se compose de sacs, accessoires, et survêtements en peau synthétique, reconnaissables à leur texture plissée, leur matière souple, leur aspect organique et sans couture lié au mode de fabrication par moulage. On peut voir les sacs SkinBag comme des extensions corporelles, des organes externes dont la fonction est de contenir tous les objets qui nous accompagnent. Les housses pour ordinateurs, caméras, pods, et autres composants numériques sont des double-peaux multimédia traduisant la miniaturisation et la fragmentation des ordinateurs se répartissant à la surface et à l'intérieur de nos corps et qui finiront par se connecter à nos cerveaux. En devenant neuronale, notre peau devient poreuse. Les survêtements, quant à eux, sont perçus comme des peaux retournées qui rendent ainsi visible nos muscles, une sorte de scalpes à la fois repoussants et attirants, mais qui conceptuellement renvoient à l'idée de mues. La notion de mutation humaine est ici induite par la volonté de changer d'apparence. Notre insatisfaction ontologique engendre un désir de métamorphose et de perfectionnement de notre corps actuel dont la peau témoigne. Alors que le vêtement traditionnel transforme notre apparence de peau en apparence de tissus, les SkinBags cherchent à se rapprocher de l'aspect vivant. Olivier Goulet s'intéresse avant tout, non pas à l'être nu, mais à l'être social qui se présente aux autres, incluant nos habits et nos extensions communicationnelles de tous ordres (argent, clés, téléphone, organizer…). Les SkinBags proposent ainsi une nouvelle forme paradoxale de nudité à notre corps social. Il s'agit de confectionner une nouvelle peau qui définit les contours élargis de notre personnage et de notre image. Destinés à intégrer la vie quotidienne des gens, les SkinBags sont notamment commercialisés dans des boutiques de design ou de mode. A Liverpool, Olivier Goulet conçoit pour FACT son premier espace commercial hors les murs et entièrement dédié aux SkinBag afin de présenter, dans ce lieu expérimental entre commerce et design artistique, de nombreux prototypes inédits. Déjà ses premiers modèles SkinBag s'apparentaient à des sacs de supermarché, certains tatoués de logos de marques. Ces corporations parviennent à nous incorporer leurs logos qui deviennent des signes identitaires et sociaux, nous transformant en enseignes. A l'origine se trouve toujours la difficile définition d'un être en fluctuation permanente. La peau, partie visible du corps et zone d'interaction entre l'intérieur et l'extérieur, est naturellement devenue l'objet de prédilection de l'artiste-designer. Déjà en 1997, il scanne le corps d'un homme qu'il fragmente en parcelles de 10 cm2 et met en vente sur Internet. Cette Vente de Territoire par Correspondance présente, de manière interactive, une métaphorique géographie du corps devenant un puzzle d'organismes territoriaux plus ou moins abstraits, témoins du vécu individuel. Les SkinFlags (2003) en sont la suite logique. En tant que continuité politique, ces drapeaux faits de peau synthétique signifient l'obsolescence de la dimension territoriale de la nation même. Les SkinFlags pastichent les drapeaux nationaux, souillés par les agissements coloniaux de l'espèce humaine. Ils dénoncent l'importance accordée aux frontières nationales, ces limites territoriales héritées des conflits incessants, symptomatiques des comportements archaïques de l'homme. Les drapeaux sont l'emblème de pouvoirs locaux qui entravent l'émergence d'une culture mondiale fédérative. Les groupes d'intérêt et d'affinité de tous ordres s'interpénètrent au delà des frontières, rendant caduques les nations-territoires. Les plis des SkinFlags se poursuivent alors d'une teinte de peau à l'autre : c'est dans les liens entre ses membres que se fait la cohérence du groupe, au delà des distinctions "raciales" et idéologiques. Par la matérialité même du support, les SkinFlags incarnent ce corps social ne pouvant exister qu'en relation à autrui : "ma peau est mon drapeau." C'est par la peau et ses mues que se jouent ces jeux d'identités fluctuantes – dans l'installation Merci de laisser votre peau au vestiaire des mues humaines sont accrochées dans une penderie.
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